ABUS DE FAIBLESSE : UN HUIS CLOS ROMANCÉ

ABUS DE FAIBLESSE : UN HUIS CLOS ROMANCÉ

En août dernier, la commission du film Pyrénées-Atlantiques était contactée pour préparer le tournage de quelques scènes du prochain long-métrage de Catherine Breillat à Biarritz. Après en avoir fait un livre, « Abus de confiance », la réalisatrice porte à l’écran la mésaventure qu’elle a eue en 2007 avec Christophe Rocancourt qui, profitant de son handicap suite à un AVC et de sa faiblesse, lui aurait soutiré des chèques pour plus de 850 000 euros. Dans le film, qui devrait être prêt pour Cannes, Isabelle Huppert interprète le rôle de la cinéaste et le rappeur Kool Shen, celui de l’escroc.

Sud Ouest. Pourquoi retranscrire cette histoire au cinéma ?

Catherine Breillat. C’est complètement différent. Ça raconte la même chose… mais pas la même chose. C’est ici moins ciblé sur moi et lui. J’ai dépassé le contexte de l’autobiographie pour finalement aller vers quelque chose de beaucoup plus romanesque, mais qui peut concerner tout le monde. Car personne n’est à l’abri d’être un jour escroqué… L’image dit beaucoup plus de choses, elle permet les nuances aussi.

Comme il s’agit d’une fiction, j’ai changé les noms. Lui s’appelle Vilco Piran, « moi » Maud Schoenberg. Autant le livre est un récit sur Rocancourt et moi, autant ce film est davantage une comédie. Il y a un côté hollywoodien dans cette histoire avec cet analphabète, plein de charisme, pas toujours menteur, intellectuel un peu abîmé.

À vous entendre, on pourrait penser que vous le défendez…

Mais les escrocs sont charmants ! Et les abus de faiblesse sont délicieux, sinon on ne se laisserait pas abuser évidemment !

Vous dites que ce film est une fiction, mais vous êtes-vous vraiment éloignée de la réalité ?

Pas beaucoup… Évidemment, Kool Shen ne ressemble en rien à Rocancourt. Et pourtant, quand il joue des scènes que j’ai vécues, on dirait la même chose. Pour moi, c’est quand même un choc. Et puis, voir Isabelle me représenter en tant qu’infirme… Je me rends compte que je suis bien plus handicapée que je ne le crois. Il y a un corps et de la chair. Mais cette chair, elle est quand même bien abîmée.

Pourquoi avoir choisi Kool Shen ?

J’adore les gens qui ne sont pas acteurs. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai fait la connaissance de Rocancourt… Kool Shen avait la nature du rôle, du geste, la brutalité de la voix. Il a aussi, en lui, beaucoup de tendresse, car c’est quelqu’un plein de nuances. Son corps habite naturellement l’espace. Par exemple, au début du film, il entre dans un loft de 150 m2 et doit donner l’impression qu’il en prend possession de sorte que plus personne d’autre ne puisse y pénétrer. Son corps a permis cela.

Quand j’ai fait les premiers essais avec lui, nous étions assis dans un fauteuil. Dès qu’il a eu la liberté de l’espace et de bouger devant la caméra, il est devenu d’un coup un grand acteur. C’est une véritable révélation ! Il porte entièrement le film avec Isabelle, puisqu’il s’agit d’un huis clos entre deux personnes.

En quoi ce film se rapproche-t-il de la comédie américaine ?

La rencontre de Kool Shen avec Isabelle, c’est celle de deux personnes qui ne devraient jamais se rencontrer et n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Il y a un côté « Pretty Woman » dans ce film, sauf qu’ici c’est plutôt « Pretty Man » !

Elle veut au départ le voir en tant que simple acteur, pas pour en faire un ami ni l’avoir dans sa vie, mais juste l’avoir dans son film. Parce qu’elle est infirme, il s’incruste et se rend nécessaire. Avec l’infirmité, il y a une proximité des corps qui se crée… Quand on voit les deux personnages ensemble, tout est dit de l’histoire.

Après avoir tourné en Belgique, vous bouclez le film à Biarritz.

J’ai de nombreuses attaches à Biarritz où j’ai passé, petite, tous mes étés au Port-Vieux. Ma mère est enterrée au Boucau, j’ai de la famille dans les Landes. Pour le tournage, j’aurais aimé un temps déplorable, avoir l’Océan démonté. C’était symbolique. Mais, regardez, je n’ai pas de chance, il fait beau ! Les scènes à Biarritz correspondent au début de l’escroquerie. Quand, après une grosse crise d’épilepsie, je me retrouve complètement assommée par les médicaments. Incapable de discernement. C’est à partir de là qu’il y a abus de faiblesse.