DRÔLE DE PANNE AFRICAINE

DRÔLE DE PANNE AFRICAINE

Canicule  

Guillon, petit Blanc nerveux au cœur du continent noir.

On a vu, ces deux ou trois dernières années, déferler dans le cinéma européen tout une vague de films traitant de l’immigration clandestine. Ceux-ci fonctionnaient souvent en empathie avec ces misérables en provenance d’Afrique ou d’Europe de l’Est blackboulés par un univers néolibéral dont on leur refuse l’accès.


Sisyphe.

D’une certaine manière, Le temps de la kermesse est terminé effectue un peu le chemin inverse en plongeant un Occidental sûr de sa suprématie dans un contexte où ses convictions, comme tout droit issues d’un héritage colonialiste, ne pèsent plus lourd. Le lieu est volontairement indéterminé, mais on devine qu’il s’agit d’un hameau situé dans une contrée aride de l’Afrique de l’Ouest (bien que le tournage se soit déroulé en réalité au Maroc). Là croupit depuis quelques jours un Blanc, chef de travaux, en panne de voiture. Faute de pouvoir redémarrer et poursuivre sa route, l’”intrus” en est réduit à donner des ordres à une poignée d’autochtones madrés qui, reconduisant (si on peut dire) le mythe de Sisyphe, poussent et repoussent la guimbarde au sommet d’un monticule. En vain.
Jusqu’au dénouement, prévisible, l’histoire ne dit pas grand-chose de plus, mais la démonstration ne manque pas d’acuité.


Passé par le court métrage et le documentaire, Frédéric Chignac a souhaité « dénoncer le déséquilibre Nord-Sud, sans limiter ces rapports à une opposition séculaire entre, d’un côté, les bourreaux et, de l’autre, les victimes ».


La figure centrale de sa parabole marque le retour au cinéma – où il n’a pas encore réussi à s’imposer – de Stéphane Guillon (le rôle était au départ destiné à Benoît Poelvoorde). Humoriste redoutable qui a le vent en poupe (France Inter, one-man-show incendiaire), l’histrion vérifie le pouvoir en définitive assez faible des mots, confronté à une contrainte purement matérielle. Tour à tour menaçant, ridicule, fataliste, médiocre, arrogant ou (plus ou moins faussement) connivent, Guillon tue le temps comme il peut – jusqu’à contraindre la beauté fatale du hameau à un rapport forcé, tout de même – et, bon gré mal gré, doit revoir à la baisse pas mal de certitudes.

 


Chèvre.

L’étude de caractères veille cependant à élargir le spectre en suivant aussi le quotidien désœuvré et laconique du microcosme où, bonne idée du scénario, la population civile cohabite avec une mini-garnison militaire sortie de nulle part et dirigée par un commandant manipulateur qui rend chèvre son hôte involontaire. Déjouant de justesse les codes manichéens, Le temps de la kermesse… parvient à trouver sa voie, certes parfois lambine, mais globalement convaincante.

Gilles Renault