Entretien avec Eric Laurent

Entretien avec Eric Laurent

Lorsque vous avez commencé à écrire La guerre des Bush, est-ce que vous pensiez à une possible adaptation au cinéma ou  à la télévision ?
Très franchement non. Je pensais que le sujet – les ambiguïtés, les secrets de la famille Bush – était trop sensible trop délicat et je n’envisageais pas qu’un producteur prenne le risque d’en faire un documentaire. Le premier livre est sorti avant le déclenchement de l’intervention militaire en Irak et rappelez-vous, malgré les oppositions, les opinions publiques se mobilisant contre cette intervention, il y avait tout de même une espèce de consensus autour du bien-fondé de cette intervention, sur la dangerosité de Saddam Hussein. Ce qui me semblait dangereux, c’était le discours de cette administration développant un certain nombre de points, qui se sont révélés mensongers sur la soi-disant menace représentée par les armes de destruction massive.Mais justement je ne pensais pas que mon enquête puisse faire l’objet d’un documentaire et d’une adaptation télévisuelle et cinématographique. J’ai été séduit par la détermination de Jean-François Lepetit qui dès le début du mois de février 2003 a commencé à travailler à l’adaptation alors même que le livre venait juste de sortir et n’était pas encore devenu un succès traduit dans 21 langues.

Comment vous avez collaboré avec William Karel ? Est-ce que vous le connaissiez auparavant ?

Je connaissais William Karel, j’avais vu ses documentaires et notamment sa série sur la CIA ainsi qu’une partie de la série diffusée sur Arte sur Les Hommes de  la Maison Blanche et j’avais trouvé que nos démarches se rejoignaient : une volonté de coller à la fois aux faits et de ne pas se satisfaire de la vérité officielle. Je pense – et c’est le ressort de toutes mes enquêtes – que derrière toute vérité officielle, il existe une réalité cachée et c’est ce que j’ai voulu révéler à propos de Bush et de cette administration qui est totalement atypique.

Nous sommes face à un phénomène tout à fait nouveau en politique : pour la première fois, une administration, composée d’hommes issus d’une extrême droite chrétienne ultra-fanatique et des neo-conservateurs ont pris le contrôle complet de la politique étrangère américaine et  sont aujourd’hui en train de refaçonner totalement les relations internationales.

Nous sommes entrés dans une période tout à fait nouvelle, de profonde instabilité et d’incertitude où le droit international a été nié et bafoué. Ensuite, le choix d’intervenir préventivement ré-instaure complètement le chaos et la loi de la jungle et rend les relations entre pays beaucoup plus imprévisibles et dangereuses : demain au nom de ce principe le Pakistan peut attaquer l’Inde, la Corée du Nord lancer des missiles sur le Japon.

Il faut également souligner que nous sommes face à une extraordinaire succession de mensonges d’Etat, sans équivalent dans le passé.  Un homme comme John Dean qui fut le conseiller juridique de Nixon et le premier à avoir au fond déclenché l’affaire du Watergate en avouant devant une commission d’enquête du Congrès  que  Nixon faisait écouter les conversations téléphoniques à la Maison Blanche, estime : «  si le système américain fonctionne sainement, à terme le président américain devrait être traduit devant le Congrès a et frappé d’impeachment», c’est-à-dire menacé d’une procédure de destitution car, tout de même, la manipulation des faits, le cynisme avec lequel ils ont été proférés sont d’une gravité extraordinaire. Ils ont entraîné un pays et indirectement le reste du monde dans une guerre qui n’était, on s’en rend compte aujourd’hui, nullement justifiée.

Quelles différences entre écrire un livre et élaborer un film  ? quel travail vous avez pu avoir concrètement avec William Karel ?

Sur les livres j’ai travaillé seul mais le travail sur un film est un travail collectif où Jean-François Lepetit et Agnès Vicariot ont tout au long joué un rôle essentiel Et là effectivement, un certain nombre d’obstacles se font jour : il y a des gens qui peuvent accepter de vous parler avant l’écriture du livre mais qui ont refusé lors du tournage parce que le contenu du livre les a probablement dérangés ; d’autres témoins qui avaient accepté de se confier lors de mon enquête mais ont craint  de montrer leur visage devant la caméra. Nous étions face à un certain nombre de paramètres tout à fait différents qu’il a fallu gérer. Mais je pense que William Karel s’en est extrêmement bien tiré.