Interview d’Aure Atika concernant LA FAUTE A VOLTAIRE

Interview d’Aure Atika concernant LA FAUTE A VOLTAIRE

Le personnage de Nassera est à l’opposé des rôles que l’on vous a vu jouer jusqu’ici. Qu’est-ce qui vous a séduit chez elle ?
C’est d’abord le scénario dans son ensemble que je trouvais très bon, très bien écrit. Ses personnages avancent à grandes enjambées les uns vers les autres. Jallel et Nassera se rencontrent, en milieu de page, ils découvrent qu’ils sont cousins, et en bas de page, c’est la fête dans le café! En une seule page les personnages s’échangent beaucoup de choses. C’est un courant puissant qui est capable d’emmener aussi bien un comédien qu’un spectateur. Dans la vie, ça ne se passe jamais avec autant d’évidence. C’est pour cela qu’on aime et qu’on admire ces personnages.
Autant dans la vie, je n’aime pas montrer mes blessures, autant au cinéma je cherche ça. Nassera m’a offert la possibilité de les exprimer. C’est un personnage chargé dont on peut faire une double lecture. On ne voit pas à première vue ses blessures, son passé difficile. Elle est assez farouche, presque sauvage, mais son innocence a été malmenée par son expérience. Et puis jouer une ” beur ” me plaisait : je voulais revenir plus près de mes origines.

On ne vous connaissait pas ce registre…

C’est vrai que ce rôle est assez différent de ceux dans lesquels on m’a vu jusqu’ici, mais j’ai tout de même fait des rôles ” sérieux ” dans des films qui malheureusement n’ont pas marché. Le public n’a donc retenu que mes rôles dans des comédies, mais je trouve cette image un peu limitée. J’ai été élevée dans un milieu très cinéphile. Encore petite, avant que mes goûts ne soient formés, on m’emmenait voir des films d’auteurs. A sept ans, ma mère me montrait les films de Philippe GARREL ! Même si j’ai ensuite découvert des films populaires, je me sens proche de ce cinéma, et j’ai envie d’y revenir…
Visiblement, Abdellatif KECHICHE vous a dirigé d’une manière très personnelle. Comment avez-vous abordé ce rôle avec lui ?
Abdel est le meilleur directeur d’acteurs que j’ai rencontré. Pourtant, le tournage n’était pas facile, et c’était son premier film. Il porte une attention constante aux acteurs. Quand on se sent à ce point considérée, aimée et désirée en tant qu’actrice, on ne peut que se surpasser. Abdel m’a poussée dans mes retranchements, vers ma nature profonde.

Vous vous sentiez donc des points communs avec le personnage ?

Je me reconnais complètement en Nassera. Nous n’avons pas le même passé, bien sûr, mais sa manière de montrer ses blessures, de les exprimer, me rapproche d’elle. Je comprends très bien aussi ce côté impulsif, ces changements d’humeurs, et la difficulté qu’elle éprouve à communiquer ses émotions.
Nassera cristallise le désir de Jallel de s’installer, de se sentir en sécurité, protégé par le mariage. Mais c’est finalement elle qui se sent en danger et s’enfuit…
Nassera a eu un homme dans sa vie, il est parti, et elle ne s’en est jamais remise. Elle ne peut plus envisager de supporter un nouvel abandon. Lorsque son gamin disparaît, elle le reçoit comme un avertissement extrêmement brutal : ” si tu ne veux pas à nouveau perdre ce que tu as et souffrir, ne possède pas “. Et donc, plutôt que de risquer une rupture et un nouvel abandon, elle coupe elle-même d’emblée la corde qui l’entraîne sur le chemin d’une nouvelle possession. Pas de possession, pas de perte. Pas de perte, pas de souffrance. C’est simple, radical.
C’est un personnage qui derrière les apparences, a peur. Peur pour son enfant, et peur de souffrir. Derrière son côté sensuel, et entreprenant, elle est très farouche et méfiante. Ce qu’elle a vécu, la poursuit. Son enfant est une trace de ce passé, elle ne peut s’empêcher de voir en lui son père, ce qui explique pourquoi elle lui parle brutalement. D’un autre côté, cet enfant est sa raison de vivre, c’est pour lui qu’elle travaille et qu’elle essaie de s’en sortir. C’est une relation passionnelle dans laquelle il n’y a pas vraiment de place pour Jallel. Ils auraient pu s’aimer, mais elle avait besoin de temps pour avoir confiance, pour être apprivoisée.

 

Vous vous êtes beaucoup investie dans ce rôle, qui est l’occasion pour vous de montrer vos véritables désirs de comédienne…
J’aimerais qu’Abdel ne fasse plus de films sans moi ! J’aime la manière dont il ramène toujours ses idées à la vie, à la chair, au corps et aux sensations. C’est la beauté du film. Sur le plateau, c’était tout pour les comédiens. On allait au bout des choses, notamment dans ces longs plans séquences, qui pouvait durer jusqu’à dix minutes ! Il n’y avait à aucun moment, comme sur beaucoup de tournages, la frustration de ne pas avoir fait le maximum. Ce genre de film, finalement, m’est plus naturel que la comédie. Je cherche avant tout à faire des choses très différentes.