interview de Marion Hansel concernant les noces barbares

interview de Marion Hansel concernant les noces barbares

LES NOCES BARBARES est votre troisième film et votre troisième adaptation. Qu’est-ce qui vous a attirée dans le roman de Yann Queffelec ?
C’est une histoire de mal et de manque d’amour, situation que je supporte difficilement. Quand je la rencontre j’ai envie d’en témoigner pour dire et faire comprendre que cela ne devrait pas exister. Il y a des êtres qui sont pris dans une injustice affective qui gâche leur vie. C’est le sujet de tous mes films. Dans LE LIT, il y a plein d’amour mais brisé par la mort. Dans DUST, une insatisfaction et une demande d’amour entre une fille et son père. Le roman de Yann Queffelec m’offrait une situation à la fois analogue et différente. J’ai abordé ce thème comme quelqu’un de très heureux, comblé et entouré et c’est peut-être parce que je viens de ce bonheur là que je ne peux en supporter l’absence. Je tolère mal que les autres aient moins reçu que moi…Une adaptation peut en cacher une autre. Le roman de Yann Queffelec a dû vous réserver quelques surprises ?
C’est la première fois que je me vois confrontée à un roman aussi important dont l’histoire se déroule sur autant d’années. J’ai choisi de garder l’intégralité de la fiction, même si cela me posait un problème de dédoublement de personnage : passer pour Ludo de l’enfant à l’adulte. J’ai senti que l’enfance de Ludo était le moment qui pouvait témoigner de la souffrance et de la douleur de sa mère Nicole, victime qui fait une autre victime. Je ne veux pas tourner “contre” mes personnages et le capital de sympathie et de compréhension de Nicole, naissait au moment même où elle était écrasée. Dans mon film, le récit n’est plus chronologique comme dans le roman. Si j’avais commencé par l’origine du drame, le viol, la situation de départ était tellement forte que je ne serais pas arrivée à garder la tension à ce niveau d’intensité. Il n’y avait plus de crescendo possible. J’ai préféré organiser le récit autrement. Je travaille beaucoup mes scénarios. Il y a eu cinq versions des NOCES BARBARES. J’ai écrit les trois premières seule. Yann Queffelec m’envoyait ses remarques. A cette étape de mon travail, François Verny des Editions Gallimard m’a dit que j’étais beaucoup trop respectueuse du texte, qu’il fallait l’oublier, qu’une adaptation n’avait rien à voir avec un roman. Il avait raison : un scénario n’est pas de la littérature et il suscite un rythme différent. J’ai construit mon film en flash-back. J’ai ramené 100 pages du livre – l’asile – à 8 minutes. J’ai supprimé certains personnages pour laisser à Nicole la possibilité d’être comprise, acceptée par le spectateur. Je ne voulais pas qu’elle soit perçue comme une marâtre, une femme odieuse, mais comme quelqu’un qui mérite beaucoup de compassion, une jeune fille qui a été cassée, brisée. Elle est aussi pitoyable et démunie que son fils Ludo.Nicole ne bouge pas physiquement malgré le temps qui passe ? C’est un parti pris. Je ne voulais pas deux comédiennes. Je voulais quelqu’un qui ait un physique très sensuel, très présent. Elle était la seule à s’imposer avec évidence. Il y a de bonnes comédiennes, mais les unes étaient trop fragiles, d’autres trop sophistiquées ou trop parisiennes. Il ne faut pas oublier que c’est la fille d’un boulanger, venue de la France profonde où les femmes sont bien charpentées et solides. Sa sensualité est première, évidente et non construite comme celle d’un mannequin. Peut-être Nastassja Kinski aurait-elle pu tenir le rôle mais sa venue impliquait une autre production, un autre casting. J’avais vu jouer Marianne Basler dans “ROSA LA ROSE” et elle me semblait mousseuse, rousse, superbe à souhait. Avec un registre juste et diversifié. Elle était celle qui pouvait faire craquer un G.I. et fasciner un enfant qui veut être fier de sa mère. Je suis très heureuse d’avoir pu travailler avec cette jeune comédienne qui a un registre physique et émotionnel surprenant.

Dédoubler le personnage de Ludo a du vous poser des problèmes ?
Oui, j’ai d’abord choisi Thierry Frémont. Il s’est imposé à moi très rapidement, j’ai tout de suite vu que dans ses moindres gestes, manger, marcher, bouger, il serait Ludo. L’enfant qui devrait le précéder devait avoir, comme lui, les cheveux roux et les yeux verts. Mon assistante, Gerda Giddens, a vu 100 petits garçons. Yves Cotton est sorti tout de suite du rang. C’était son premier rôle. C’est un enfant étonnant, un travailleur et à la fois un acteur intuitif. Dès qu’il a su qu’il était choisi il a étudié le scénario par coeur. J’ai eu peur qu’il devienne “un singe savant”. J’ai demandé à ses parents de lui enlever le texte pour qu’il ait le temps de l’oublier et qu’il garde toute sa spontanéité. Sur le tournage, faisant confiance à son attention et à sa mémoire, je lui rappelais 5 minutes avant qu’il ne les prononce les répliques qu’il devait dire. C’était parfait. Yves Cotton n’est pas Ludo dans sa vie. C’est un enfant qui joue Ludo comme un acteur professionnel. Avant qu’on dise “moteur”, il était heureux, bavard, amusant. Dès qu’on tournait il était ce qu’il devait être : triste, renfermé, inquiet.

Diriger un enfant n’est pas simple ?
C’est ce qu’on dit, mais là je me suis trouvée devant quelqu’un d’exceptionnel. Il prenait la situation comme un jeu. Il comprenait que sa mère dans le film était malheureuse, qu’il devait l’aimer. Ses réactions, sa personnalité ont marqué de nombreuses séquences. Il a choisi avec humour la consistance de ce qu’il devait renifler quand on lui met le nez dans son caca : c’est de la mousse au chocolat ! donc une scène facile à tourner, où l’on s’est amusé malgré son intensité dramatique. Il était capable de mémoriser, dans une même séquence, huit à dix gestes différents. Grâce à son habilité manuelle, la scène des ventouses n’a posé aucun problème. Celle du bol où il met les lèvres sur les traces du rouge à lèvres de sa mère était plus difficile. Il n’en comprenait pas le sens. On a un peu triché.

Monter un film après avoir obtenu le Lion d’argent à Venise doit être plus facile?
Un an à peine s’est écoulé entre l’achat des droits et le film terminé, ce qui est un record. Mes partenaires publics ou privés m’ont dit oui tout de suite. En Belgique les recettes de DUST m’ont permis d’obtenir facilement des “à valoir” de distribution. En France le prix Goncourt de Yann Queffelec a été mon atout majeur.

Où avez-vous tourné LES NOCES BARBARES ?
Je suis partie de la proposition du roman : les Charentes. J’ai été emballée par la lumière, lumière du bord de l’océan, d’un estuaire où il y a une réverbération exceptionnelle. Et puis je retrouvais là une ligne d’horizon proche “du plat pays qui est le mien” ! Ce n’est pas l’Escaut, c’est la Gironde, mais il y a des ressemblances. Par un hasard dont je profite et que je ne comprends pas, cette région a été peu filmée. C’est une première avec en plus des conditions de tournage qui soudent une équipe. En bas le vin de Médoc, en haut les parcs à huîtres et pour tous des hôtels abordables !

Quelle évolution ce film marque-t-il dans votre travail ?
Il m’a amené à oser 10 à 15 décors, 10 à 15 comédiens, à sortir d’un huis-clos. Ce n’est pas encore une saga. Mais j’aurais eu l’impression de piétiner si je n’avais pas dépassé l’enfermement de mes deux films précédents. Non que je récuse un monde clos – je sais que plus tard, un jour, quand les temps seront venus, j’aurais envie de tourner le roman de François Weyergans “Macaire le copte” mais avant cela je veux filmer large, “western” ! Je cherche maintenant des horizons étendus comme ceux de “Pélagie la charrette” d’Antonine Maillet. Hélas les droits sont pris. D’autre part, j’ai eu, grâce au Lion d’argent de Venise, plus d’argent. J’ai pu travailler avec une dolly, c’est à dire une caméra montée sur grue, avec contrepoids, qui peut aller à 4 mètres de hauteur, tourner à gauche et à droite, faire un cercle complet, balayer un horizon ou une façade. C’est elle qui m’a permis de faire les plans du début, d’éviter les plongées et contre plongées tout en balayant un maximum d’espace. J’ai appris beaucoup en l’utilisant tout comme j’ai été avec mon équipe très heureuse d’être confrontée au scope. Walter Van den Ende ne l’avait jamais pratiqué. C’est un format très différent qui amène une autre mise en scène. Pendant les 15 premiers jours de tournage nous étions tous désemparés. Les premiers rush étaient plein d’erreurs. Nous avons dû corriger nos habitudes de praticiens du 35 mm. Le scope n’a pas de profondeur de champ, mais demande qu’on meuble l’espace. Si l’on met un comédien au premier plan il faut remplir le vide autour de lui avec un décor qui est flou mais qu’on doit garnir d’arrière-plans perçus comme des taches de couleur. Le scope permet d’aligner 5 ou 6 personnages ensemble. Mais ce n’est pas ce qui m’intéressait, j’ai préféré jouer avec les décors, l’espace, bien habiter le cadre. Et cela a été pour nous une découverte extraordinaire.

Vous avez travaillé avec la même équipe que dans vos films précédents ?
Oui, c’est essentiel. Je crois qu’avec LES NOCES BARBARES j’ai consciemment / inconsciemment bouclé une trilogie, faite avec le Directeur de la photographie Walter Van den Ende, l’Ingénieur du son Henri Morelle et la Chef monteuse Suzy Rossberg. Nous nous connaissons très bien. Le processus de séduction, entre nous, n’a plus besoin de fonctionner. Nous connaissons nos trucs, nos manies, nos limites. C’est merveilleux de complicité. Cette fois-ci nous avons découvert le scope ensemble. Pour le 4ème film peut-être aurais-je besoin de lutter à nouveau, de séduire et d’être séduite autrement. Je n’imagine pas de ne plus faire de film sans ce trio, mais peut-être prendre, pendant quelque temps, des distances pour mieux se retrouver.

Il y a de nouveaux venus : Henri Colpi et Fredy De Vreese ?
Cela fait partie de l’aventure et de la séduction nécessaire à chaque film. Il faut s’entourer de gens qui vous poussent plus loin. Colpi est un grand monsieur du cinéma. Il sait tout, mais il écoute, il est disponible. Il a d’exceptionnelles qualités de coeur. J’avais l’impression qu’il était plus jeune que moi. Il est à l’écoute de tout : les jeunes, la rue, les sons, les couleurs. Quant à l’introduction de la musique, c’est ma grande première. Dans DUST je l’avais fait composer, mais je ne m’en suis pas servie. Pourtant, sans être musicienne, je suis mélomane. J’aime la musique dans les films des autres. Dans les miens j’ai peur de la surcharge, de l’émotion obligatoire. Mais cette fois-ci, comme le roman de Queffelec est écrit au premier degré, je ne voulais pas faire une mise en scène distanciée. Je sentais qu’il fallait que j’accepte la musique. Fredy De Vreese a très bien compris à la fois ma demande et ma crainte. Il a composé une partition étonnante de fragilité (c’est un compliment) qui accompagne Ludo et Nicole dans leur propre fragilité. Il a développé, pour chacun d’eux, un thème très juste. Je regrette maintenant, d’avoir fait appel à lui après les images… la prochaine fois j’irai plus vite et plus loin.

Justement cette prochaine fois… Un T.V. avec la Hollande et dans 2 ans un autre long métrage. Lequel ?
Je ne sais pas encore.