«La liste des mensonges et manipulations de Bush est impressionnante»

«La liste des mensonges et manipulations de Bush est impressionnante»

Le documentaire de William Karel, «Le monde selon Bush», diffusé vendredi sur France 2, s’inspire des enquêtes de l’écrivain et grand reporter Eric Laurent («La guerre des Bush» et «Le Monde secret de Bush») qui a répondu aux internautes lundi après-midi.

 

Ines.b: Bonjour, documentaire de William Karel, film de Moore, les brûlots se succèdent contre Bush. Quel est leur véritable effet sur l’opinion américaine? Celle ci est-elle en train de réaliser qui est son président? Au point d’en changer en novembre ?
Eric Laurent: Il y a indiscutablement un revirement dans une partie de l’opinion américaine qui s’inquiète des entorses répétées aux règles élémentaires de la démocratie et de l’éthique politique pratiquée par Bush et son administration. La liste des mensonges et des manipulations qui se sont succédées depuis quatre ans est impressionnante: liens supposés entre Al-Qaeda et Saddam Hussein, responsabilité de ce dernier dans les attentats du 11 septembre, pseudo armes de destruction massive, en sont les exemples les plus frappants.

 

Looola: Comment un Français peut-il enquêter sur le président américain? Avez-vous eu plus de problèmes que vos collègues américains?
J’ai vécu et travaillé aux Etats-Unis, notamment à Washington, et j’avais tissé des liens avec des membres de l’actuelle administration. Le véritable problème était moins l’accès à des sources d’informations confidentielles que la passivité de la plus grande partie de la presse américaine à cette époque qui n’a ni cherché ni tenté d’exhumer des informations désobligeantes ou compromettantes sur le Président américain et sa famille.

 

Maou: Vous dites que Richard Perle avait assimilé votre livre à du «terrorisme». Comment cette menace s’est matérialisé et que pensez vous du conseiller de Bush, qui semble tout de même intelligent?
La menace ne s’est pas matérialisée, mais elle a fait l’objet d’une déclaration publique de Perle au cours d’une émission télévisée. Vous avez raison, la plupart des hommes qui entourent le président américains sont intelligents, ce qui les rend d’autant plus dangereux. Ils fonctionnent en réseau, ils se connaissent depuis 30 ans, poursuivent les mêmes objectifs politiques et pratiquent avec un art consommé la manipulation et la désinformation.

 

Didoo: Comment des membres de l’administration Bush peuvent-ils vous donner des arguments contre sa version des faits?
Pour une raison simple, même à des échelons élevés, certains membres de l’administration qui n’appartiennent pas au groupe des conseillers restreints du président, désapprouvent fortement les choix et les orientations politiques du président américain et de ses proches. Ils considèrent cette politique comme dangereuse, aventuriste et contribuant de plus en plus à isoler les Etats-Unis sur la scène mondiale. Ce sont pour ces motivations qu’ils ont parlé.

 

Patrick: Est-ce que des anciens pro-Bush ont fini par cracher le morceau?
Cette administration est en réalité extrêmement soudée. George W. Bush privilégie l’obéissance et la fidélité sur l’honnêteté. Le vice-président Cheney est impliqué dans de nombreuses affaires à travers la société qu’il présidait, Halliburton. C’est également le cas de M. White, secrétaire d’Etat à l’armée, qui était un des dirigeants du groupe Enron, qui a fait l’objet d’une gigantesque faillite frauduleuse. Cependant, ces hommes n’ont jamais été inquiétés par le président. Par contre l’ancien ministre des Finances, M. O’Neill, qui a démissionné et écrit un livre extrêmement dur sur Bush, a fait l’objet de nombreuses menaces.

 

aldo: «Quand on pense que Nixon a démissionné pour trois bandes magnétiques…», dites-vous ? On oublie souvent que l’affaire du Watergate a duré plus d’un an, que Nixon a été réélu entre-temps avant d’être enfin poussé à la démission…
Vous avez tout à fait raison et d’ailleurs l’ancien conseiller juridique de Nixon, John Dean, vient d’écrire un article très intéressant dans une revue juridique. Il déclare que si le système américain continue de fonctionner normalement, si les élus et les institutions jouent leur rôle, on devrait à terme aboutir à une procédure d’impeachment, c’est-à-dire de destitution contre l’actuel président des Etats-Unis. En effet, la gravité des agissements est sans commune mesure avec ceux de l’ancien président Nixon: on a menti à l’opinion américaine et internationale, on s’est engagé dans une guerre sans justification immédiate, en violation des règles internationales.

 

Maou: Est-ce que le lobby Bush se trouve uniquement dans sa région natale, ou a-t-il des soutiens ailleurs?
Le lobby Bush repose avant tout sur l’industrie pétrolière et le secteur de l’armement. Tous les proches collaborateurs et conseillers du Président américain ont parti lié avec les plus grands fabricants d’armement.

 

Kakia: Que deviendra l’influence de Perle et co. si Bush n’est pas réélu ? Cette équipe de faucons a-t-elle une influence au-delà du gouvernement (industriels, société civile, etc.) qui risque de se perpétuer quel que soit le prochain gouvernement ?
Ils ont une influence et des relais au sein du pouvoir économique et financier mais la non réélection de Bush les priverait évidemment du relais politique indispensable dont ils ont besoin pour mettre en œuvre leur politique.

 

Aldo: Dans ce monde de «miroirs et de fumée» qu’est l’univers du renseignement, quel crédit apportez-vous à ceux qui pensent que le faux document accusant l’Irak d’importation d’uranium a été concocté par certains membres de la CIA cherchant à piéger l’équipe Bush ?
Le film, «le Monde selon Bush», apporte un éclairage extrêmement intéressant sur cet épisode. Il donne notamment la parole au principal intéressé, Joe Wilson, ancien ambassadeur en Irak qui fut envoyé au Niger pour enquêter sur des soi-disant livraisons d’uranium à Bagdad et qui rédigea un rapport révélant que tout était faux. L’administration Bush et notamment le vice président Cheney ne lui ont pas pardonné cette indépendance d’esprit et de comportement et ils ont tenté de le discréditer par tous les moyens notamment en révélant la couverture sous laquelle travaillait sa femme, qui était agent de la CIA.

 

Bobsinclar: Si les Américains attrapent Ben Laden avant les élections, pour assurer une victoire de Bush, sachant qu’ils savent où il se trouve, entre le Pakistan et l’Afghanistan, l’opposition ne pourra-t-elle pas dénoncer cette mise en scène?
Peut être, mais la capture de Ben Laden n’aurait pas à mon avis un impact énorme sur le résultat des élections dans la mesure où Bush et son administration se sont eux-mêmes piégés en faisant porter la responsabilité des attentats du 11 septembre sur Saddam Hussein et le régime irakien.

 

Patrick: Les journalistes de «Libé» écrivent que vous êtes revenu avec Karel des USA sans véritables preuves sur les liens Ben Laden-Bush. Qu’en pensez vous?
Au contraire, mon livre, «la guerre des Bush» apporte des preuves irréfutables sur l’étroitesse et l’ancienneté des liens entre la dynastie Bush et la famille Ben Laden. Des liens qui remontent à 1976 quand Bush père était directeur de la CIA. Je consacre plusieurs chapitres dans mon livre à évoquer cette coopération, et les hommes qui sont impliqués.

 

LittleWing: Pensez-vous que Bush «prépare ses arrières» et fasse voter dans les prochains mois des lois bloquant l’accès aux documents pouvant le compromettre dans les événements du 11 septembre, les tortures en Irak, etc.?
Probablement. Déjà il a signé un décret prévoyant que ses archives ne pourraient pas être consultées avant 30 ans, ce qui est bien au-delà des normes habituelles.

 

LittleWing: L’influence des médias US va-t-elle être déterminante dans l’élection du 2 novembre et quel est son réel pouvoir de «propagande» pro-Bush vis-à-vis de l’Amérique «profonde» ?
La presse américaine, depuis le 11 septembre 2001, s’est caractérisée par un étonnant suivisme envers la politique de Bush. Toute critique ou remise en cause des options suivies par la Maison blanche ont été soigneusement écartées. Pendant trois ans, la presse américaine considérée pourtant comme un contre-pouvoir n’a pas rempli son rôle. Aujourd’hui, certains journaux redressent la tête, mais le chemin à parcourir pour retrouver la fonction critique et accomplir le travail d’investigation qui était le leur jusqu’alors est encore long.

 

Blub: Le «New York Times», le «Los Angeles Times» et même le «Washington Post» se montrent très critiques envers Bush ces dernières semaines. Cela pourra-t-il avoir un effet sur les élections de novembre ?
Je ne crois pas. Il faut savoir que la presse américaine, et même des titres prestigieux comme le «New York Times» ou le «Washington Post» sont avant tout des quotidiens régionaux, non diffusés sur l’ensemble du territoire. Le ton est donné par les chaînes de télévision, notamment les chaînes d’informations câblées comme Fox News qui appartient au milliardaire Ruppert Murdoch proche des Bush et qui a adopté tout au long de la crise irakienne, une ligne dure, intransigeante, fustigeant tous ceux qui osaient émettre la moindre critique ou réserve envers la politique suivie par Bush en Irak. Le tout avec une violence de ton inouïe.