Les polars régionaux, trésors de France 3

Les polars régionaux, trésors de France 3

La petite révolution du PAF couvait depuis plusieurs mois. Elle a éclaté le samedi 14 avril 2018. Ce soir-là, alors que TF1 mise sur la fin de l’épreuve des duels de son télécrochet phare, The voice pour réunir un maximum de téléspectateurs, France 3 dégaine… Les Mystères de la basilique. Un polar qui met en scène l’enquête d’une commandante de police, Louise Chaland, interprétée par Isabelle Otero, sur la mort d’un sculpteur retrouvé près d’une de ses toiles, à Tours. Si les audiences intéressaient les bookmakers, la cote serait digne de celle d’une victoire de l’Egypte à la Coupe du monde de foot. Pourtant, le paquebot The Voice réputé insubmersible depuis son lancement, il y a six ans, engrange 4,35 millions de fans, derrière les 4,36 millions de curieux qui ont suivi la diffusion de France 3. 

Qui aurait pu croire que la petite chaîne du service public, souvent présentée comme ringarde ou vieillotte, puisse réussir un tel tour de force ? Lorsqu’on l’évoque, on pense à Thalassa, à 30 Millions d’amis et autres documentaires d’après-guerre. La 3, emmenée par sa locomotive Capitaine Marleau, s’est néanmoins fait un nom sur le terrain de la fiction, largement convoité par les chaînes généralistes et les mastodontes comme Netflix. Elle a su utiliser son ADN – les régions -, qu’elle a habilement mélangé à la sauce polar. Une recette 100 % locale qui cartonne le samedi soir. A tel point qu’Anne Holmes, aux commandes de la fiction de la chaîne depuis 2008, a été promue, fin avril, à la tête de la fiction du groupe France Télévisions. Preuve que le système France 3 s’impose comme un modèle à suivre. 

Proximité avec les héros, intrigues plus concernantes… comment expliquer ce boom étonnant des fictions régionales qui supplantent, désormais, les séries étrangères, surpuissantes ces dix dernières années ?  

“On a été un peu dépassés par le succès”
L’engouement pour les polars régionaux connaît un tournant en 2013 avec la création de la collection de téléfilms policiers Meurtres à… Sa particularité ? Chacun se déroule dans une ville ou une région de France différente – tous sont visibles en “replay” sur le site de France télévisions. “On a été un peu dépassés par le succès”, reconnaît Iris Bucher, PDG de Quad Télévision et productrice de plusieurs épisodes. C’est à elle et au réalisateur Lionel Bailliu que l’on doit le premier numéro, Meurtres à Saint-Malo. “Au départ, nous avions simplement envisagé un polar régional unitaire dans lequel nous souhaitions mettre en valeur le patrimoine français, en l’occurrence la piraterie, et raconter une enquête policière amusante.” Mais l’audience explose. 

D’autres téléfilms sont commandés et déclinés, des Hauts-de-France à l’Occitanie en passant par le Grand Est, avec toujours le même succès. Celui tourné à Orléans, dans lequel une jeune fille interprétant Jeanne d’Arc, lors des fêtes johanniques, est assassinée, affiche la plus belle audience, avec 5,9 millions de téléspectateurs. “Il y a une proposition de polar dans une région, mais elle n’est qu’un prétexte pour découvrir notre patrimoine culturel”, assure Anne Holmes. Tourné actuellement, le volet à Brides-les-Bains (Savoie), sera diffusé à la rentrée avec l’actrice Line Renaud en tête d’affiche. 

On aurait presque tendance à l’oublier, mais si France 3 fait figure d’outsider, la chaîne dispose d’un véritable savoir-faire en matière de séries. C’est elle qui a amorcé, dès le début des années 2000, ce virage “d’industrialisation” de la fiction, devenue la référence. La machine de guerre Plus belle la vie, puis Un village français, dont les auteurs étaient capables de dégainer une saison par an, en sont les exemples les plus significatifs. 

Les régions aussi en profitent
En misant sur les polars régionaux, France 3, dont la moyenne d’âge des téléspectateurs oscille entre 61 et 62 ans, réussit le pari de conserver ses inconditionnels, tout en attirant des adeptes plus jeunes, grâce à la fiction policière, genre plébiscité des Français. La chaîne constate d’ailleurs un rajeunissement de son public grâce au replay. “Nous avons réussi à créer des rendez-vous en identifiant très clairement des cases. Le samedi soir, les gens savent qu’ils vont voir du polar et qu’ils peuvent le regarder en famille, car il n’y aura pas de scènes trop violentes”, poursuit Anne Holmes.  

Pas de séquence susceptible de choquer, mais encore ? Le succès s’expliquerait aussi par la tendance du retour au patrimoine et à l’idée que nos régions sont aussi des lieux à explorer. Au placard Seattle, décor de Grey’s Anatomy ; ou Washington, centre des opérations de l’équipe d’enquêteurs de NCIS ! Place à des lieux plus proches des Français. “L’aventure ne se trouve plus forcément dans les grandes villes, mais également au coin de la rue, analyse François Jost, sémiologue spécialiste de la télévision. Il y a ce sentiment d’abandon très fort dans les campagnes. C’est d’ailleurs un des points faibles du président Macron. Beaucoup ont l’impression qu’il est complètement déconnecté de ce qui s’y passe. Ces séries sont comme une consolation. On dit aux Français vivant en province : ‘On s’occupe de vous.’ ”  

Cette carte de la proximité, France 3 l’exploite jusqu’au bout. Dans chaque épisode de Meurtres à… l’intrigue policière repose sur une légende de la région, réelle ou imaginaire. “Il y a une vraie fierté de voir sa région mise en valeur. Les gens aiment quand on parle de l’endroit où ils vivent”, martèle Iris Bucher. Pour son prochain volet, la productrice a choisi comme lieu de tournage l’usine sidérurgique abandonnée d’Uckange (Moselle).

Il n’y a pas que France 3 qui tire avantage de ce filon, les régions aussi en profitent. En Auvergne, où a été tourné un épisode, on se félicite de l’impact positif qu’a eu la diffusion sur l’image du territoire. “Nous n’avons pas réalisé d’étude quantitative, mais les commentaires sur les réseaux sociaux ont été très nombreux. Nous avons senti un vrai intérêt pour la région”, se réjouit Lionel Flasseur, directeur général du comité régional du tourisme Auvergne Rhône-Alpes. 

Des héros plus humains
L’appétence pour ce type de programmes est d’autant plus étonnante qu’elle va à contre-courant de la tendance de ces dix dernières années, où tous les yeux étaient braqués sur les séries étrangères. En retrait désormais, elles ont laissé la place à leurs homologues tricolores dont la qualité s’est largement améliorée. “Si les téléspectateurs redécouvrent un amour pour la fiction domestique, c’est peut-être aussi parce qu’ils ont été gavés de séries américaines. Il n’y avait plus que ça en prime time, souffle Iris Bucher. Les cycles durent dix ans en général. Là, nous étions arrivés au bout. Il fallait une contre-proposition.” 

Cette décentralisation va de pair avec l’émergence de héros plus humains, plus authentiques, avec des failles, des blessures. Des personnages, à l’image de M. et Mme Tout-le-Monde, auxquels le public s’identifie facilement. “Les téléspectateurs se sont rendu compte qu’il n’y avait plus besoin de posséder de superpouvoirs pour faire des choses exceptionnelles”, observe Jean-Pierre Panzani, directeur des opérations télévision et Internet à Médiamétrie. 
Tous ces ingrédients mis bout à bout font le bonheur de France 3, mais pour combien de temps encore ? La moyenne d’âge de son audience demeure vieillissante. La bonne nouvelle pour la chaîne, c’est qu’il y aura toujours des régions. Ne lui reste plus qu’à trouver de nouvelles façons de les explorer.