QUAND LES ARTISTES ENTRENT EN SCÈNE

QUAND LES ARTISTES ENTRENT EN SCÈNE

Le duo Riou-Pouchain analyse l’effervescence artistique de l’après-68

La prise de l’Odéon en mai 1968 fut aussi symbolique que celle de la Bastille près de cent quatre-vingts ans plus tôt: inutile, mais lourde de conséquences. Le 15 mai, lorsque l’occupation du théâtre dirigé par Jean-Louis Barrault est effective, les artistes prennent part aux débats qui animent désormais l’endroit. Ils deviennent le fer de lance de cette “révolution” initiée par une jeunesse qui s’ennuie. “Sur scène montaient des gens qui avaient des idées, qui proposaient des choses d’une imagination, d’une fantaisie, d’un bon sens aussi”, témoigne Ariane Mnouchkine, fondatrice du Théâtre du Soleil.

Parfois désordonné
Quelques jours plus tard, sur le pont qui mène à l’usine Renault de Flins (Yvelines), mles artistes rencontrent la classe ouvrière. “Ce fut comme un grand tableau de Delacroix”, se souvient Macha Méril, présente à cet événement extraordinaire, “comme une extase sexuelle”, selon les mots de Margerite Duras, actrice, elle aussi, de cette première. Dans un documentaire riche en archives et témoignanges – parfois aussi désordonné que l’époque qu’il raconte -, le tandem Riou-Pouchain se penche sur le foisonnement artistique de l’après-68. À la fin des années 1960, les cinéastes, les acteurs, les chanteurs doivent devenir les promoteurs de révolution qui vise à bousculer l’ordre établi et réveiller la classe ouvrière abrutie par la société de consommation. Et, au fur et à mesure que la perspective du grand soir s’éloigne, leurs préoccupations deviennent plus terre.

Les artistes se mettent au service de causes plus ciblées, comme le légalisation de l’avortement. “Les modes de vie changent profondément, en particulier en ce qui concerne le statut de la femme, celui du couple, la conception de la famille, la sexualité. (…) Le mot “plaisir”, qui n’est pas du tout présent dans le vocabulaire marxiste en 1968, émerge parce que, de plus en plus, la dimension libertaire l’emporte sur la dimension marxiste…”, note l’historien Pascal Ory. Plutôt que de bouleverser la société, on change la forme des spectacles: Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, Jérôme Savary avec son Grand Magic Circus dans la rue ou Coluche, Patrick Dewaere, Miou-Miou et romain Bouteille au Café de la Gare.

Après avoir été des compagnons de route du Parti Communiste, au lendemain de la guerre (les deux documentaristes nous avaient raconté leur histoire dans un précédent film), les artistes sont les invités vedettes des meetings du Parti Socialiste. “François Mitterrand pensait que, si un jour nous accédions aux responsabilités, la culture devait être un champ d’action prioritaire”, explique Jack Lang. À la fin des années 1960, tout était politique; au début des années 1980, tout est devneu culturel. Quand la gauche arrive au pouvoir, le budget de la culture est doublé, de grands travaux sont planifiés. Les artistes voulaient changer le système, ils en font désormais partie.

Joël Morio