Trois questions à Catherine Breillat

Trois questions à Catherine Breillat

La réalisatrice Catherine Breillat, dont le dernier film, A ma sœur !, est en salles depuis le 7 mars, répond aux questions du “Monde interactif” sur les rapports entre cinéma, Internet et caméra numérique.

Quelle utilisation faites-vous d’Internet ?
Personnellement, je ne suis pas une internaute chevronnée. Je n’ai même pas de connexion à Internet chez moi. Je n’ai vraiment pas le temps de m’y mettre et en plus, je suis un peu réfractaire à tout ce qui est technique. Je n’aime pas trop les ordinateurs. Par contre, j’utilise beaucoup Internet comme moyen de communication depuis la sortie de mon film Romance en 1999.
C’est un outil de diffusion d’informations incroyablement puissant et très pointu. Par exemple, j’ai fait la promotion de ce film en Corée, et la conférence de presse que j’y ai donnée à cette occasion a été retransmise en direct sur le Net.
Internet est désormais un outil de recherche d’informations indispensable : les journalistes du monde entier se renseignent sur un film ou sur un cinéaste grâce aux différents sites disponibles en ligne. C’est pourquoi je suis plutôt contente de voir que de nombreux sites se sont développés autour de mes films, notamment Romance. Il y a notamment un site allemand très bien fait. Je participe également de plus en plus à des forums, à des discussions en ligne avec les internautes. C’est essentiel, cette nouvelle relation, quasi immédiate et directe, qui peut s’établir via Internet entre un cinéaste et les spectateurs. Cela me semble d’autant plus important pour des films d’auteur comme les miens qui ne se limitent pas à une audience exclusivement française et qui ont besoin de succès à l’étranger.

Que représente pour vous ce nouveau média ? Un outil de promotion pour vos films ? Un espace de création ?
A mes yeux, Internet est avant tout un espace de liberté. Il y a beaucoup plus de liberté sur le Web que pour d’autres médias. Peut-être pas en France, où il y a une grande liberté de la presse, mais dans d’autres pays plus “totalitaires”. Internet est, selon moi, un formidable outil pour le discours plus que pour le slogan promotionnel. Finalement, ce n’est pas un outil très important pour la promotion pure et simple d’un film. C’est plutôt un instrument de discours très pointu. Il s’adresse mieux à une certaine frange de la population. Les gens qui surfent sur Internet, surtout les jeunes, sont à la recherche d’un autre discours, d’une autre manière de penser en dehors des circuits traditionnels. La réelle création va passer par Internet. C’est de là que surgiront les vraies surprises, bonnes et mauvaises, mais plutôt bonnes, à mon avis.

Que pensez-vous du recours à la caméra numérique ?
Pour moi, l’utilisation de la caméra numérique est avant tout une question de style. C’est comme les techniques modernes de la peinture à l’acrylique ou du collage par rapport à la technique traditionnelle de la peinture à l’huile. Chaque cinéaste réalise son œuvre avec les moyens qui lui correspondent le mieux. Il est certain que le numérique va prendre de plus en plus d’importance dans l’univers du cinéma, jusqu’à devenir aussi incontournable que la caméra traditionnelle. L’image numérique va sans doute aussi s’améliorer et se rapprocher de plus en plus de la qualité, du rendu de la pellicule classique. Pour ma part, j’en suis plutôt encore au stade de la peinture à l’huile. Il y a une certaine froideur, un modernisme de l’image lié à la caméra numérique qui ne convient pas à ma manière de filmer. Il y a également une tendance à la schématisation. La caméra numérique ne parvient pas encore à rendre très bien la peau, la transparence de la peau comme le fait la pellicule traditionnelle. Or, dans mes films, la peau est toujours très présente.
Par ailleurs, se pose aussi la question de la post-production numérique. Le montage numérique offre une telle gamme de choix que, du coup, même si le coût de filmer avec une caméra de ce type est moindre, la post-production peut coûter très cher. Finalement, elle peut se révéler être un outil à double tranchant, pas chère d’un côté et très coûteuse de l’autre. La caméra numérique peut être un “plus” indéniable pour les cinéastes, n’en faisons pas un “moins” en rendant son utilisation obligatoire. N’oublions pas, de toute façon, que la caméra numérique n’est en fin de compte qu’un simple outil, une technique. L’invention du stylo-bille n’a pas multiplié le nombre d’écrivains de qualité. C’est la même chose avec la caméra numérique, cela ne fera pas des cinéastes plus talentueux pour autant.