Interview de William Karel

Interview de William Karel

Comme Michael Moore, vous avez réalisé un film sur George W. Bush. Comment est né votre projet ?
C’est une commande. Jean-François Lepetit m’a demandé si je voulais faire un film à partir des deux livres d’Eric Laurent, La Guerre des Bush et Le Secret des Bush (Plon). Le premier m’avait servi pour le dernier volet de ma série sur la CIA. Le deuxième m’a appris des choses que j’ignorais, sur les relations de Prescott Bush, le grand-père, avec les nazis et le chapitre sur la « mission divine » de Bush junior. Je m’étais fixé de ne plus tourner sur les États-Unis, ce qui me frustrait évidemment car CIA, guerres secrètes s’arrêtait à la veille de la guerre en Irak. J’ai donc accepté et, en quelque sorte, repris le feuilleton.

Vous avez dit que cela avait été un enfer pour obtenir des témoins…
Le principe de mes films, c’est l’histoire racontée par les témoins directs. Mais là, je traite de l‘actualité immédiate et il est beaucoup plus difficile de faire parler des témoins devant une caméra que pour un livre. Je ne me suis pas rendu compte que pour l’entourage direct du président, ma demande était inacceptable. On a pris contact avec une trentaine de personnes. Le premier cercle, les Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul wolfowitz, Condoleezza Rice, a refusé. Mais – surprise ! – le deuxième cercle aussi, les conseillers, les Karl Rove, Andrew Card. Pas d’entretiens sans l’aval de la Maison Blanche !

Quelles sont les règles aux Etats-Unis ?
Les hommes politiques en activité sont soumis au devoir de réserve, mais ils peuvent parler dés qu’ils quittent leur poste, à condition de ne pas faire de révélations susceptibles de mettre en danger la sécurité du pays. C’est ainsi qu’on a eu David Frum, qui venait de quitter Bush pour rejoindre le secteur privé. C’est lui qui a inventé la célèbre formule de l’ « Axe du Mal ». Il a pu nous parler des prières collectives avant les réunions à la Maison Blanche et de la manière dont se préparaient les discours du président. Richard Perl, lui, a accepté de témoigner parce que je le connaissais d’un précèdent film, Les Hommes de la Maison Blanche, et parce qu’il n’a pas de fonction « officielle ». On a attendu qu’il vienne dans le Luberon, où il vit six mois par an. Parmi les « proches » du président, on a eu ceux qui sont devenus des « dissidents », tels Joe Wilson, chargé de savoir si Saddam Hussein avait acheté de l’uranium enrichi au Niger, ou David Kay, alors à la CIA, à qui on a demandé de trouver les armes de destruction massive de Saddam. Le film s’est donc partagé entre quelques témoins directs et des écrivains ou historiens comme le romancier Norman Mailer, qui vient de publier un livre sur la folie de partir en guerre à Bagdad, ou Stanley Hoffman, de Harvard, auteur du 11 septembre, une divine surprise, des analystes très critiques.

Quelle est votre méthode pour les entretiens ?
Choisir des thèmes. Il y avait vingt points que je voulais traiter avec les témoins. Un des reproches faits à Michael Moore, qu’on pourrait m’adresser, c’est « l’effet zapping ». Chaque thème est assez riche pour constituer un film en soi : La religion, le Patriot Act, les liens entre la famille Bush et l’Arabie saoudite, la façon dont l’équipe de Bush a réussi à faire croire que Saddam Hussein était derrière les attentats du 11 Septembre. Pareil pour le témoignage de Hans Blix. Il était désespéré. Il a été traîné dans la boue par Paul Wolfowitz et l’objet de rumeurs ignobles sur sa vie privée.

Quand avez-vous su que Michael Moore tournait un film comparable au vôtre ?
Dés ma première rencontre avec Frank Carlucci. Il m’a dit que Michael Moore faisait un documentaire sur la famille de Ben Laden. Il a ajouté qu’il ne lui parlerait jamais. « Je ne reçois pas les gauchistes », a-t-il dit sur le ton de la plaisanterie. Comme si j’étais du Parti républicain…

Dans le climat actuel aux Etats-Unis, le fait d’être français vous a-t-il gêné ?
Jamais. J’ai un passeport suisse. Mais je pense surtout qu’ils ne nous prennent pas vraiment au sérieux.

Pourquoi d’anciens membres de la CIA acceptent-ils de vous parler aussi longuement ?
Parce que personne ne les interroge, ne va les voir. Ceux qui sont très critiques ne s’expriment nulle part. Ils sont ravis de pouvoir parler !

Pourquoi un homme aussi influent que Frank Carlucci vous a-t-il reçu ?
C’est un des hommes les plus puissants de Washington –à la CIA, on l’appelle Don Corleone ! C’est la troisième fois que je le vois. Mystère ! Je l’ai pourtant toujours prévenu des sujets qu’on allait aborder. Par exemple, sur le fait que Bush père siège au conseil d’administration du groupe Carlyle, dont une filiale vend des chars et des missiles au Pentagone avec l’aval de son fils. Cette fois, c’était pour lui demander si, lorsqu’il était secrétaire à la Défense sous Reagan, il avait livré de l’anthrax à Saddam Hussein et si, à la réunion annuelle du groupe, qui avait eu lieu le 11 septembre 2001, à 9 heures du matin, il y avait bien un frère de Ben Laden, Shafiq Ben Laden, parlant affaires au côté de George Bush Sr. Je lui ai écrit. Une semaine après, il m’a dit : « Vous pouvez venir ».

Le deuxième ouvrage d’Eric Laurent est davantage centré sur les relations avec Israël. Comment avez-vous travaillé avec lui ?
Les livres d’Eric Laurent ont nourri mon film, mais on n’a pas travaillé ensemble. Toutefois, Eric Laurent connaissant Ariel Sharon, on a essayé pendant six mois d’obtenir un entretien avec lui et avec un de ses ministres pour parler des relations avec le gouvernement Bush. Ils ont répondu qu’ils n’avaient pas le temps. Du coup, on a réduit cette partie.

Comment définissez-vous votre démarche : documentaire politique ? Pamphlet ?
Ni film à charge, ni pamphlet. Michael Moore a le culot phénoménal de prendre position. Il est américain, engagé dans la campagne électorale avec les démocrates. Pour moi – c’est ma conception du documentaire -, le commentaire ne prend pas parti : il apporte des faits, des chiffres. J’aurais adoré pouvoir dire que Rumsfeld et Bush sont des fous dangereux, que leur soutien inconditionnel à Sharon est le pire service qu’on puisse rendre à Israël, mais je ne l’ai jamais fait, dans aucun film. Certes je m’abrite derrière des témoins qui vont dans le sens de ce que j’aurais envie de dire… J’essaye de faire le bilan des 1 000 jours de Bush, de juxtaposer les erreurs ou horreurs commises. Il n’y a pas de révélations fracassantes mais disons que, mises bout à bout, toutes ces choses prennent une petite force.

Croyez-vous au pouvoir d’un film ?
Absolument pas. Le Monde a publié récemment l’information selon laquelle un rapport du 6 août 2001 s’était trouvé sur le bureau de la Maison Blanche, disant, avant les attentats du 11 Septembre, que des terroristes allaient détourner des avions de ligne pour s’en servir comme armes aux États-Unis. Quand j’ai révélé ces faits, confirmés par deux anciens directeurs de la CIA, dans CIA, guerres secrètes, diffusé il y a un an sur Arte, il n’y a pas eu une seule ligne dans les journaux. Un an après, c’est devenu un évènement.

Propos recueillis par Catherine Humblot