BORIS VIAN, EN AVANT LA ZIZIQUE

BORIS VIAN, EN AVANT LA ZIZIQUE

Magazine n°25 du 13 au 19 juin 2009

Figure mythique du Paris d’après-guerre, écrivain, auteur, chanteur et musicien, Boris Vian a disparu il y a tout juste cinquante ans. Reportage sur le tournage de Bulles de Vian, une fiction musicale qui lui rend un hommage insolite, avec Antoine de Caunes.

Paris, 1953. Boris Vian et Ursula Kübler, sa compagne, tombent sous le charme d’un appartement aménagé dans d’anciennes loges du Moulin-Rouge. L’appartement est niché au bout de la Cité Véron, une ruelle qui jouxte le cabaret. C’est ici que l’auteur de L’écume des jours et de L’arrache-coeur composera ses plus célèbres chansons. On y croisera Raymond Queneau, Miles Davis, Henri Salvador… Sous les ailes inchangées du Moulin, en ce printemps 2009, Antoine de Caunes fume une cigarette. La place Blanche est noire de monde, mais personne ne le remarque. Dans quelques minutes aura lieu le tournage des dernières scènes de Bulles de Vian, une fiction musicale réalisée en hommage à l’écrivain- poète-chanteur-musicien. “Ce film est un ovni, tout à fait dans l’esprit de Vian ; ça part dans tous les sens !”, résume le comédien. L’histoire : au matin du 23 juin 2009, cinquante ans jour pour jour après la mort de Vian, Antoine de Caunes se réveille et découvre qu’un étrange phénomène frappe la France : tout le monde “parle” Vian ! Dans les rues, à la télévision, à la radio, les mots du poète sont sur toutes les lèvres…

Déambulant dans un Paris “vianisé”, le comédien redécouvre ses chansons et les lieux qui ont jalonné son existence. DE CAMILLE À IGGY POP “Ce n’est pas un film sur Vian, mais à la manière de Vian, explique le réalisateur Marc Hollogne. Un film sans matière grise, où le sang circule.” De fait, cette “fiction musicale” est un drôle d’objet, à la fois ancien et futuriste, bricolé d’éléments éclectiques : des scènes chantées et jouées, qui mêlent le réel à l’imaginaire, le noir et blanc à la couleur: “Nous voulions faire quelque chose qui aurait plu à Vian, renchérit Antoine de Caunes, qui a suivi de près la conception du film. Pas des vieilles archives du genre : ‘sa vie, son oeuvre et ceux qui l’ont connu’ !” Au même moment, dans la salle féerique du Moulin-Rouge où se prépare le tournage, c’est l’effervescence. Près des coulisses où débordent de gros boas roses, on s’affaire autour d’Ute Lemper. La chanteuse allemande, robe du soir et talons hauts de star du music-hall, s’apprête à endosser le rôle d’Ursula Kübler. Quelques minutes plus tard, elle vampirise la scène de son timbre envoûtant, reprenant “La complainte de Mackie”, fameux air de L’opéra de quat’sous que traduisit Boris Vian.

Comme elle, de nombreux artistes ont accepté de participer à ce joyeux voyage dans le temps : Camille, Emily Loizeau, Maurane, Iggy Pop, Lio, Thomas Fersen, Philippe Katherine, Arthur H, François Hadji-Lazaro, mais aussi Jean-Pierre Darroussin, Clara Morgane, Emma de Caunes, Jean-Pierre Marielle (inimitable voix off du film)…

HISTOIRES EN-CHANTÉ

Chacun restitue à sa manière l’esprit vifargent de Boris Vian : “Tous se reconnaissent dans son incroyable modernité”, affirme Antoine de Caunes, encore impressionné par “l’impro hallucinante” de Camille, enregistrant “La complainte du progrès” quelques jours plus tôt dans la cuisine de la Cité Véron. Avant d’ajouter : “J’apprécie la manière dont Marciel trafique les images, son rapport au réel complètement décalé.” Marciel, c’est le double de Marc Hollogne, un personnage de scène qu’il a créé il y a plus de dix ans, et qui apparaît aussi dans Bulles de Vian.

Autant dire que cet artiste belge est coutumier du mélange des genres. Il dit partager avec le poète “un penchant pour les univers parallèles et la pataphysique”, cette “science des solutions imaginaires” inventée par Jarry et pratiquée avec ardeur par Vian. “Pour lui, poursuit Marc Hollogne, la littérature était surtout une affaire de musique. À l’époque où l’inspiration romanesque s’est tarie, les chansons lui ont permis de continuer à raconter des histoires.” Un an avant sa mort, dans En avant la zizique, Vian inventait une machine capable d’imaginer les oeuvres que Mozart aurait écrites s’il avait vécu plus longtemps – où qu’il aurait composées s’il avait été sous l’influence de Cole Porter. À l’image de ce fabuleux appareil, Bulles de Vian fait revivre l’imagination du poète, son humour et son esprit frondeur en plein XXIe siècle. Pour notre plus grand bonheur.