Boris Vian : “À mes moments perdus, j’écrivais”

Boris Vian : “À mes moments perdus, j’écrivais”

À l’occasion des 50 ans de la disparition de Boris Vian, le 23 juin 2009, plusieurs documentaires racontent l’inénarrable auteur aux multiples talents. France 5 ouvre le bal avec “Du côté de chez Vian”, qui convoque images d’archives inédites et nombreux témoignages de proches pour dresser le portrait du Vian musicien et du Boris au coeur fragile.

Cigarillo au bec, casquette, voix et silhouette reconnaissables entre toutes, c’est Jacques Prévert qui donne le ton. Celui de l’hommage, de l’amitié et du coeur. Ce coeur “révélateur, qui lui en fit voir de toute les couleurs”. Qui l’a lâché, à grand coup de cuivres. “Chaque souffle dans ma trompette abrège mes jours”, écrivait Vian. Mais chaque note endiable les nuits germanopratines de l’après-guerre, fondues de jazz, avides de vie et au coeur desquelles Boris Vian, accompagné de ses frères, orchestrait les soirées du Tabou.

À l’écran, sans larmes, les amis pleurent “un être douloureux” (Juliette Greco), “discret” (Georges Moustaki) qui “transpirait la mélancolie” (Serge Rezvani). En fond sonore, la BO est pourtant celle de sa vie, tellement jazzy. Et puis soudain, le voilà, roublard. Front proéminent, nez imposant, lèvres charnues, regard braque, pénétrant. Séduisant. “Are you a jazz fan ?” interroge la journaliste. “Oh yes”. Fanatique ajouterait-on à considérer le regard halluciné. “Et puis vous avez été écrivain…”. Il corrige : “D’abord ingénieur, il me fallait un diplôme sérieux pour pouvoir dire des bêtises.” On savoure, on jubile, on boit du petit lait. “Mais j’écrivais à mes moments perdus.” Qui n’était pas né à la grande époque de Saint-Germain des Prés s’interroge. Bien sûr Le Déserteur , bien évidemment On est pas là pour se faire engueuler et forcément La Complainte du progrès . Mais quoi ! Le génial manipulateur des mots, l’auteur fétiche de l’adolescence, de l’enfance qui ne veut jamais basculer, n’était pas avant tout un écrivain ?

C’est ce que nous fait (re)découvrir ce documentaire, basé sur les témoignages des proches donc, et exclusivement axé sur le Boris Vian musicien. Ingénieur, journaliste, traducteur, écrivain, directeur artistique, pataphysicien… Multiple mais d’abord musicien. Ou, pour être exact, avant tout jazzman. Amis et épouse – la dernière, Ursula Vian Kübler – nous offrent leurs souvenirs et convoquent un “mirage indéfinissable” (Michel Piccoli), “révélateur de crétinisme” (Jean-Christophe Averty). Un génie mais un homme malade, jamais remis d’une fièvre typhoïde doublée d’une angine mal soignée. Le 23 juin 1959, il en mourut. En pleine projection de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes . Adaptation dont il ne voulait pas et roman à lire absolument qui, peut-être, scella le malentendu avec les hautes sphères littéraires. Paru sous le désormais célèbre pseudonyme de Vernon Sullivan, le livre rencontre son public, énorme, mais sera interdit par le ministère de l’Intérieur. “Une fêlure” pour Boris Vian dont l’oeuvre foisonnante ne rencontra pas le même succès que le livre de Sullivan. Gallimard refusa même de publier L’Arrache coeur . On comprend alors que le sien l’ait lâché justement ce 23 juin 1959.

Charlotte Pons – 10/06/2009

http://www.lepoint.fr/culture/2009-06-10/television-boris-vian-a-mes-moments-perdus-j-ecrivais/249/0/351118