TÉLÉVISION : L’ALGÉRIE D’HERVÉ BOURGES

TÉLÉVISION : L’ALGÉRIE D’HERVÉ BOURGES

De la belle ouvrage. Un travail historique de facture classique, sobre, précis et clair, adossé aux récits d’acteurs de premier plan et de témoins privilégiés. Intitulé L’Algérie à l’épreuve du pouvoir, 1962-2012, le documentaire d’Hervé Bourges, dont France 5 diffuse ce dimanche soir le premier volet à la faveur du Cinquantenaire de l’indépendance de l’ancienne colonie française, mérite le détour.

Son auteur, intimement lié à la naissance de l’Algérie souveraine, a le mérite de trouver la “bonne distance”, déjouant les pièges de la complaisance et de l’amertume. C’est que le jeune Bourges, alors rédacteur en chef de Témoignage Chrétien et militant tiers-mondiste, travailla au côté d’Ahmed Ben Bella, chef historique du FLN et premier président de l’ère postcoloniale, dont il fut le conseiller personnel. A tel point que lorsqu’il accède plus tard à la direction de l’Ecole supérieure de Journalisme de Lille, l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute titre à la une: “Un fellaga pour former nos journalistes”.
Même s’il connaît personnellement, et depuis des lustres, la plupart de ses interlocuteurs, l’ancien patron de RFI, TF1 et France Télévision n’escamote nullement les combats fratricides entre les caïds des wilayas et les féroces rivalités qui déchirèrent les héros de la “libération nationale”, qu’ils luttassent sous les couleurs du FLN ou du GPRA. A commencer par l’empoignade qui, au-delà d’une éphémère alliance stratégique, opposa Ben Bella à l’austère prétorien Houari Boumediene, dont au demeurant le bras droit n’était autre qu’un certain Abdelaziz Bouteflika, stratège politique précoce et madré. Il y a d’ailleurs quelque chose de fascinant à entrevoir, aux détours d’archives télévisées d’une grande richesse, le sémillant et insubmersible “Boutef'”, dont le long règne devrait s’achever à la faveur de la présidentielle de 2014…

Ce premier épisode -“L’ère autoritaire”- décrypte notamment la dérive socialiste et autocratique de Ben Bella puis celle, imposée au nom du “redressement révolutionnaire”, de Boumediene, parvenu au sommet au prix d’un coup d’Etat et qui confisquera tous les leviers civils et militaires du pouvoir avant d’imposer, en vertu cette fois de la sacro-sainte souveraineté nationale, le dogme des “industries industrialisantes”, désastreuse chimère. A l’époque, Alger revendique en outre la dignité de coeur battant du tiers-mondisme. Vecteur de cette ambition, le Mouvement des non-alignés, dont le tropisme soviétique inspira cette fameuse boutade: “Non-alignés, soit, mais sur qui?”

Retour de manivelle ?

Le décès de Houari Boumediene, en 1978, inaugure une séquence d’ouverture, incarnée par l’outsider Chadli Bendjedid et marquée par les privatisations sélectives et l’émergence d’une nomenklatura de nouveaux-riches. Héritier d’un cycle de régression du statut de la femme et de répression des démocrates, le nouveau venu fera preuve d’une bienveillance calculée envers les islamistes. Sur fond de dégringolade des cours du pétrole, son aventurisme aboutit aux émeutes d’octobre 1988, écrasées dans le sang par l’armée. C’est sur cet épisode tragique que s’achève l’Acte I.

L’Acte II, lui, relate “L’ère des tempêtes”. Le naufrage du pays dans une violence sans bornes au lendemain de l’avortement d’un processus électoral qui promettaient le gouvernail aux islamistes du FIS. Suivent l’éviction de Bendjedid, le bref intermède du vétéran Mohamed Boudiaf, acteur d’une fragile espérance assassinée, l’essor funeste des GIA, les années de sang et de larmes, la loi de la barbarie, qui culmine en 1997. Puis le retour de Bouteflika, avocat d’une “concorde civile” imposée à la hussarde.

On regrettera à ce stade l’indulgence relative dont bénéficie le revenant, mais aussi l’absence, parmi les témoins qui défilent à l’écran, de ténors du Front islamique du salut. En revanche, le parti pris méthodologique d’Hervé Bourges, consistant à ne mettre en scène que des protagonistes algériens apparaît judicieux. Car il évite d’égarer le propos dans les méandres d’une névrose franco-algérienne encore vivace. A cet égard, les entretiens avec Ben Bella -le dernier enregistré avant sa mort-, Khaled Nezzar, ex-chef d’état-major des armées et ministre de la Défense, Redha Malek, porte-parole du FLN à l’heure des accords d’Evian puis Premier ministre en 1993-94, fournissent des éclairages certes subjectifs, mais précieux. Tout comme les contributions de l’avocat Ali Yahia Abdenour, inlassable défenseur des droits de l’Homme, ou de Louisa Hanoune, patronne du Parti des Travailleurs. Tous apportent leur pierre à cette leçon d’histoire, oeuvre d’un spectateur engagé mais lucide.

Le premier volet sera diffusé sur France 5 ce dimanche 30 septembre à 22H00 ; le second le dimanche 7 octobre à la même heure.