UNE LEÇON D’HISTOIRE ÉDIFIANTE SIGNÉE HERVÉ BOURGES

UNE LEÇON D’HISTOIRE ÉDIFIANTE SIGNÉE HERVÉ BOURGES

Diffusé dimanche 30 septembre à 21h et le 7 octobre à 22h sur France 5, le dyptique L’Algérie à l’épreuve du pouvoir 1962-2012, le film d’Hervé Bourges, réalisé par Jérôme Sesquin, est appelé à faire date dès lors qu’il plonge avec pertinence au cœur du pouvoir algérien et des lettres politiques qui n’ont cessé de l’agiter un demi-siècle durant.

Ce documentaire historique est tout d’abord fort bien structuré  deux parties de 60 minutes : «L’ère autoritaire (1962-1988)» et «L’ère des tempêtes (1988-2012)». Les principaux épisodes de cette saga du pouvoir sont remarquablement mis en perspective grâce à l’agencement judicieux d’interviews et d’archives, les uns et les autres éclairant des faits historiques et des zones d’ombre, même si certains demeureront dans la non-élucidation  (les assassinats politiques notamment).

Le mérite principal de ce travail sérieux de documentariste est l’absence de tout présupposé idéologique ou de jugement des acteurs de la vie politique algérienne, approchés de manière telle qu’ils s’expriment le plus souvent avec une sincérité rarement entendue de la bouche de responsables politiques algériens. La grande connaissance, sans doute, d’Hervé Bourges du pays, de ses us et coutumes, de la sphère politique et de ses représentants a constitué un atout non négligeable à même de susciter confessions et réflexions dans une interface éclairante.

Le premier comme le deuxième volet mettent en lumière une caractéristique fondamentale du jeu politique algérien : la prise de pouvoir et l’absence de règles démocratiques qui auraient garanti le libre exercice électoral des citoyens. La crise de l’été 1962, par exemple, marque la fin de la légitimité incarnée par le GPRA et le recours systématique au coup de force illustré par «le réajustement révolutionnaire» du 19 juin 1965, qui porte de manière définitive l’armée nationale à l’exercice réel du pouvoir, même si la mainmise sur les institutions est parfois plus ou moins visible ou plus ou moins masquée. Les nombreux témoignages des personnalités questionnées mettent en lumière la volonté de Boumediène et de ses proches d’accaparer le pouvoir avec la complicité de Ben Bella qui ne s’en cache pas, convaincu que son charisme va asseoir son autorité et sa dérive dictatoriale adossées à une sécurité militaire, dont le rôle ne cessera de croître jusqu’à peser sur les choix politiques et sur celui des hommes.

Au vu de ces deux heures de projection, nombre de téléspectateurs peu au fait des réalités politiques algériennes – et surtout les plus jeunes – vont réaliser combien l’histoire contemporaine de leur pays leur a été dissimulée, tronquée, manipulée au nom des enjeux de pouvoir qui ont parfois confiné à l’erreur, propre aux apprentis sorciers (voir les prévisions erronées des services secrets au moment des législatives de 1991-1992 qui vont plonger la société algérienne dans les ténèbres et la tragédie de la décennie noire).

La qualité première de ce document télévisuel réside dans le choix pertinent des intervenants et acteurs. C’est ainsi que nous entendons les derniers propos publics de Ben Bella qui décédera peu après. Deux personnalités ressortent par la justesse de leurs analyses, à savoir Lakhdar Brahimi, longtemps ambassadeur, et Rédha Malek, négociateur à Evian et ancien Premier ministre. L’un comme l’autre empêchent  de conclure au «tous pourris».

La classe politique algérienne n’a été ni blanche ni noire et la corruption est aussi omniprésente comme fléau consanguin. Mais la nature même du régime ne pouvait que privilégier la médiocrité et nuire à l’émergence d’une véritable élite politique.

Signalons également les propos empreints de distance de l’historien Abdelmadjid Merdaci. Des erreurs ont donc été commises depuis le choix d’une stratégie de développement (l’industrie industrialisante) jusqu’à la mauvaise gestion (et les calculs erronés) de l’islamisme. On déplore toutefois l’absence de Bouteflika de ce casting royal et le fait que Khalida Toumi exhume son passé de pasionaria plutôt que de répondre sur  les raisons de son ralliement à Bouteflika.

Mais ce ne sont là que des  remarques secondaires, dès lors que l’ensemble des faits évoqués et des propos tenus par les uns et les autres ne souffrent, eux,  d’aucune réserve majeure. Nous pourrions détailler et relever telle ou telle phrase, tel ou tel aveu, telle ou telle réflexion. Mais il est préférable d’enclencher les magnétoscopes et de voir et revoir cette Algérie à l’épreuve du pouvoir (référence à un livre d’Hervé Bourges portant le même titre) qui témoigne avant tout de l’amour indéfectible porté par cet ancien journaliste à une Algérie qu’il a connue, qu’il a servie et qu’il porte dans son cœur à jamais.  En tout cas, ce document par sa pertinence et le souci pédagogique pour les non-initiés n’est pas sans rappeler la qualité extrême des films produits par la BBC (Israël et les Arabes en particulier).